Histoire de l’européisme
Des piètres fondateurs à 2005
En préambule, je tenais à préciser que ce texte a déjà été publié dans d'autres circonstances. Son auteur m'a donné son accord, non seulement pour le republier ici, mais également pour y apporter quelques nécessaires modifications.
Comme le disait Jaurès, "la patrie est le seul bien de ceux qui n'ont plus rien." Toutefois, la France ne protège réellement ses intérêts que lorsqu'elle se préoccupe également de ceux des autres nations.
L'objet de mon propos sera de montrer que nous, les jacobins, avons su nous allier aux gaullistes à chaque fois que les destinées de la France étaient menacées. En vérité, les républicains des deux rives sont les seuls adversaires de l'Europe fédérale que l'on ne cesse de nous imposer depuis les années 1950. Quatre cas seront traités, si j'ose dire, pour mettre en évidence la réalité de cette alliance au service de l'Europe des nations. J'évoquerai donc, successivement, la C.E.D., le traité de Rome, celui de Maastricht et enfin, le victorieux référendum de 2005.
La C.E.D. ou la tentative de mise sous tutelle des armées nationales en Europe par les États-Unis
Si j'ai choisi de retracer l'histoire de la construction "européenne" en commençant par la C.E.D. (communauté européenne de défense), c'est parce qu'elle touche au domaine régalien par excellence : la défense nationale. Ainsi, ce projet d'armée supranationale visait à dépouiller les États de leur force armée, c'est-à-dire, de leur moyen de subsister puisque l'histoire des nations est intimement liée à la guerre et ce, des guerres médiques jusqu'à nos guerres asymétriques actuelles. L’indépendance de la France et des autres pays d'Europe était donc menacée par ce projet. Certains naïfs pourraient penser que créer une armée européenne aurait pu être utile pour empêcher les peuples européens de se faire la guerre, mais ce n'est pas du tout cet objectif-là qui était escompté. La C.E.D. ne servait pas les intérêts d'un improbable peuple européen, mais bien ceux des États-Unis. En effet, le véritable but de cette force supranationale n'était pas de pacifier le vieux continent, mais au contraire de pouvoir intervenir contre une éventuelle offensive soviétique, dans le cadre de l'O.T.A.N., puisque nous étions en pleine Guerre froide.
Schuman, le ministre français des affaires étrangères, promoteur de la C.E.C.A., avait trahi l'intérêt national en acceptant un réarmement allemand, moins de dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous la pression de l'oncle Sam. Jean Monnet, autre européiste notoire, qui était en charge des négociations avec Washington, a conçu la C.E.D. comme un moyen de satisfaire ses maîtres américains tout en privant la République fédérale d'Allemagne du contrôle de son armée. Toutefois, comment peut-on croire un seul instant qu'il n'ait pas songé qu'il en serait de même pour la France ?
Cette forfaiture a été ratifiée, dans notre pays, par le gouvernement Pinay, grand résistant...à partir de 1942. Il faut bien le reconnaître, la S.F.I.O., emmenée par Guy Mollet, qui à défaut d'être un automate deviendra par la suite un célèbre homme tomate, a fait campagne pour l'adoption de la C.E.D. Néanmoins, des personnalités socialistes de tout premier plan comme Jules Moch ou Vincent Auriol, soucieuses de l'intérêt de la France, s'opposèrent à ce traité. Les communistes, hostiles à la mainmise des États-Unis sur notre patrie se sont, eux aussi, insurgés contre la C.E.D. Jacques Duclos, l'un des principaux chefs communistes de l'époque, déclara même à propos de René Pleven, autre partisan de ce texte, la chose suivante : "C'est Monsieur Pleven, qui ne veut pas s'expliquer, qui a mandaté cet homme ! M. Pleven est un salarié de l'Amérique".
Les gaullistes furent, eux, bien plus unis que nous, les jacobins, pour dénoncer ce funeste projet. Le Général résuma l'opinion de ces partisans par cette phrase : "Avec la C.E.D., l'armée perdrait son âme.". À mon sens, la C.E.D. mais surtout son rejet, ont largement contribué à l'émergence d'une alliance entre les jacobins et les gaullistes, au moins en matière européenne. Même si l'acceptation du traité de Rome par le Général pourrait laisser penser que cette alliance n'a pas résisté à l'épreuve du temps, nous allons voir à présent qu'il n'en n'est rien.
Le traité de Rome : les débuts d’une supranationalité antidémocratique
Le traité de Rome, ou « traité instituant la communauté économique européenne », a été signé le 25 mars 1957. Il est en fait un aveu : l’Europe n’était pas vue par les piètres fondateurs comme un idéal politique, mais bien comme une vaste zone de libre-échange, pour ne pas dire de Zollverein. Les républicains que nous sommes, quelle que soit notre rive, ne peuvent que s’insurger contre cela puisque pour nous, c’est bien la politique qui doit commander l’économie et non l’inverse.
Ainsi, avec la communauté économique européenne, les États ne seraient donc que des parasites empêchant le marché de s’autoréguler comme le souhaitait Adam Smith et sa fameuse « main invisible », si chère aux économistes classiques. Il est vrai que l’orientation fédérale, sous-jacente dans la C.E.C.A. et la C.E.D., n’était pas non plus mentionnée dans ce traité, mais ne nous y trompons pas, puisque ce marché est commun à plusieurs pays, il est nécessairement supranational. Cette communauté s’organise donc autour de la libre circulation des personnes et des marchandises. Inutile de rappeler que cette libre circulation est le ferment du libéralisme.
Il est vrai que le Général a accepté le traité de Rome lors de son retour au pouvoir, en 1958, mais certaines précisions essentielles doivent être apportées. S’il ne l’a pas remis en cause, c’est probablement pour ne pas plonger la France dans une crise européenne alors qu’elle était déjà confrontée à la guerre d’Algérie. Néanmoins, son hostilité au fédéralisme, manifestée dès le débat sur la C.E.D., n’avait pas disparue. Le Général qualifiait l’assemblée, le parlement européen de l’époque, « d’aréopage sans qualification nationale ». En outre, s’il reconnaissait certains mérites à la commission, organe exécutif de la C.E.E., il n’en demeurait pas moins un ennemi de la supranationalité qu’elle incarnait. Pour le Général, comme pour nous, les jacobins, la seule Europe possible, c’est bien celle des nations.
Pierre Mendès France fut sans doute le républicain de gauche le plus hostile au traité de Rome. Il dénonçait déjà la libre circulation des personnes, qui contraindrait les pays les plus riches à accepter sur leur sol les chômeurs des pays les plus pauvres. « Dans une certaine conjoncture lorsque nous manquons de main-d’œuvre, c’est tant mieux pour nous si nous pouvons en trouver dans un pays voisin. Mais, dans d’autres cas lorsque nous sommes menacés par le chômage ou lorsqu’il s’en produit dans notre pays, l’afflux de chômeurs venus du dehors et susceptibles souvent, d’accepter des salaires sensiblement inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans notre pays est évidemment de nature à provoquer des contrecoups et des difficultés que nous avons intérêt à éviter. » (Pierre Mendès France, le 18 janvier 1957). Que l’on soit bien clair, P.M.F. ne rejetait pas les étrangers mais bien leur utilisation par le grand capital apatride.
Après avoir critiqué la libre circulation des personnes, l’homme qui aimait causer au coin du feu se prononça également contre celle des capitaux, toujours dans le même discours : « Il est évident que le mouvement naturel des capitaux, surtout des capitaux privés, sera orienté vers les pays à faibles charges, c’est-à-dire vers les pays où la politique sociale, les obligations militaires et autres sont les moins coûteuses. Les capitaux ont tendance à quitter les pays socialisants et leur départ exerce une pression dans le sens de l’abandon d’une politique sociale avancée ».
En montrant que « l’Europe » libérale avait besoin de la libre circulation des personnes, mais aussi des capitaux et en révélant leur perversité, le Prométhée du samedi soir, comme le Général, avaient déjà tout compris. Hélas, ces circulations se sont encore accrues avec les accords de Maastricht.
Maastricht ou l’affirmation d’un fédéralisme antinational
Le traité de Maastricht, ou « traité sur l’Union européenne », a été signé par les membres de la C.E.E. le 7 février 1992. Il est une prolongation de cette dernière puisqu’il conforte le marché commun déjà existant en le dotant d’une monnaie unique : l’euro. Le libéralisme, déjà très présent, a été encore renforcé avec la mise en place de critères de convergence. Parmi ces critères, il y avait celui précisait que le déficit budgétaire devait être inférieur à 3% du P.I.B. Le plus terrible desdits critères était peut-être celui qui spécifiait que l’endettement public ne devait pas excéder les 60% du P.I.B.
L’escroquerie de ces critères repose sur le fait que le déficit serait un ensemble parfaitement homogène alors qu’il n’en n’est rien. Il est évident que les déficits de fonctionnement, ceux qui coûtent sans rapporter, doivent être contraints au maximum, pourvu que cela ne rende pas impossible une ambitieuse politique sociale. En revanche, pour qu’une grande nation comme la France puisse garder son rang, il faut bien qu’elle puisse investir dans des domaines essentiels comme l’instruction, la défense, la recherche fondamentale ou encore la santé. Comment pourrions-nous investir sans creuser, momentanément, nos déficits ? Il faut donc distinguer les déficits de fonctionnement des déficits d’investissement qui sont, eux, non seulement nécessaires, mais également rentables à long terme puisqu’ils permettent à une nation de maîtriser les technologies que d’autres ne possèdent pas.
Le fédéralisme, déjà latent, fait officiellement son entrée dans la construction « européenne » avec la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité commune (P.E.S.C.). Puisqu’une politique étrangère était instituée, c’est bien que l’U.E. formait, dans l’esprit des rédacteurs du traité, un continuum territorial et donc une nation à part entière. Cette pensée est absurde car c’est bien l’Histoire qui fait les nations et non un quelconque « machin » supranational. Une communauté de destins ne se décrète pas, elle est le fruit d’un lent processus historique alternant flux et reflux. En France, le traité de Maastricht a été ratifié par voie référendaire avec à peine plus de 51% des voix.
Camarades jacobins, même si cela nous est pénible, il faut bien le reconnaître, la gauche était alors majoritairement favorable au traité en raison du positionnement personnel du président Mitterrand. Heureusement pour l’honneur de la France, nos amis gaullistes étaient présents pour défendre le principe de la souveraineté nationale. Philippe Séguin, mort bien trop tôt, était leur principal représentant. En républicain exemplaire, il exprima, dans son exception d’irrecevabilité prononcée le 5 mai 1992 à la tribune de l’assemblée, jour anniversaire de la mort de l’Empereur, son refus du fédéralisme et son attachement à la notion même de peuple. Comme il le disait, la voie référendaire était indispensable car Maastricht engageait l’existence même du Peuple. Toute renégociation était également impossible. En somme, le Peuple devait donc « se soumettre ou se démettre », aucune alternative n’était envisageable.
La dignité de la gauche républicaine fut sauve grâce à l’engagement de Jean-Pierre Chevènement. Il prit parti pour le non en mettant en avant un argumentaire très proche de celui de Philippe Séguin. Toutefois, malgré cette campagne héroïque, le traité était adopté, faisant ainsi de Maastricht non pas un anti 1789 comme l’a dit l’ancien maire d’Epinal, mais bien une négation de Valmy qui avait eu lieu deux cent ans plus tôt, jour pour jour. Néanmoins, si ce référendum fut une amère défaite pour les patriotes, ce ne fut pas le cas de celui de 2005, relatif à la constitution « européenne ».
2005, année du réveil national
Le référendum sur le « traité établissant une constitution pour l’Europe » de 2005 est particulièrement important pour nous, les partisans d’une Europe des nations car ce traité a été rejeté par près de 55% des suffrages exprimés. Bien entendu, un tel accord ne pouvait que renforcer la nature fédérale de l’U.E. puisqu’après une politique étrangère commune, « l’État européen » devait être doté d’une constitution. Pour les promoteurs de ladite constitution, un célèbre amateur de diamants notamment, l’heure n’était donc même plus à la supranationalité, mais bien à la nationalité européenne elle-même.
Je ne vais pas rentrer dans les détails de ce projet constitutionnel, beaucoup ont déjà bien mérité de la Patrie en se chargeant de ce travail. Signalons tout de même qu’une nouvelle fois, c’était bien un libéralisme débridé qui était mis en avant. Suppression totale des droits de douane, moins disant social et libre circulation des personnes étaient, plus que jamais, au goût du jour. Ce qui est intéressant avec ce traité, c’est qu’il ne s’agit pas de n’importe quel traité car nous sommes en présence d’une constitution. Depuis quand une constitution doit-t-elle instituer une doctrine politique ? Cela est d’autant plus condamnable que la doctrine en question est le libéralisme, mais au-delà de ce dernier, c’est bien le principe même visant à constitutionnaliser une politique qui est condamnable.
Le caractère antidémocratique de cette vision de l’Europe s’est lui aussi renforcé car la commission, qui entravait déjà considérablement les souverainetés nationales, aurait pu, en vertu de cette constitution, ne plus être obligatoirement composée de tous les États membres. En tant que Français, défenseurs du principe des nationalités, nous ne pouvons accepter qu’un État, aussi modeste soit-il, subisse le joug d’une autorité supranationale qui lui est, de surcroît, parfaitement étrangère.
L’immense majorité de la classe politique, U.M.P. et P.S. en tête, ont fait campagne pour le oui lors de la campagne référendaire. Même privés de campagne officielle, Jean-Pierre Chevènement et son parti, le M.R.C., qui s’étaient déjà illustrés lors du référendum de 1992, ont à nouveau joué un rôle très important sur la scène européenne en faisant, eux, campagne pour le non. La position de nos amis gaullistes était toute aussi anti fédérale.
Grâce à l’ensemble des républicains, de gauche comme de droite, le non et par conséquent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’a emporté. Hélas, notre victoire fut brève puisque le président Sarkozy, trahissant ses promesses de campagne ratifiait, peu après son élection, le traité de Lisbonne, frère jumeau de celui de 2005. L’atlantiste de Neuilly tourna ainsi les talonnettes lorsqu’il se retrouva face au peuple français. Nous subissons aujourd’hui les effets de cette forfaiture.
Charles-Louis Schulmeister,
le 19 floréal, de l’an CCXXVII de la République française