Vive l’Empereur, à bas les iconoclastes !
Serviteur de l’Empereur, je ne puis rester insensible à la polémique relative à la statue napoléonienne de Rouen. En effet, le nouvel édile de la ville, Nicolas MAYER-ROSSIGNOL, a décidé de ne pas remettre ladite statue sur son emplacement d’origine, à l’issue de sa restauration. Il ne s’agit aucunement, selon le maire, de mettre cette œuvre au rebut, mais plutôt de la déplacer en un autre endroit de la cité, au profit d’une « figure féminine ». Cette annonce peut sembler anecdotique. Néanmoins, elle recèle une immense portée symbolique. Veiller à l’intérêt des effigies impériales et donc à l’héritage napoléonien, c’est en réalité défendre une certaine conception de la France.
Même si, à ma connaissance, ce n’est pas l’action de l’Empereur en matière d’esclavage qui est pointée du doigt ici, il me semble nécessaire de faire un point sur cette thématique car, bien souvent, une certaine gauche accable Napoléon Ier à ce sujet.
Protéger le leg de l’Empire, c’est en réalité porter haut les couleurs de l’universalisme français, dont la République est la forme sublimée.
L’esclavage de 1791 à l’an XXVI
L’abolition de l’esclavage a rencontré de multiples résistances, notamment de la part des colons, qui ne voulaient pas que la manne économique dont ils jouissaient disparaisse. Toutefois, grâce aux efforts de certains, dont Robespierre, qui déclara, dès 1791: « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté »1, la situation évolua favorablement.
C’est ainsi que la convention, par décret du 16 pluviôse an II2, abolit l’esclavage dans l’ensemble des colonies. Cependant, en raison de l’éloignement de ces dernières par rapport à la métropole et de la supériorité navale de l’Angleterre, il a été difficile de faire appliquer ledit décret. Cet acte politique a donc eu une très faible portée. En Guadeloupe est par exemple institué un travail "libre" obligatoire qui n’a, malheureusement, pas réellement changé le sort des infortunés esclaves. En Martinique, ce décret n’a pu produire d’effet car l’île fut occupée par les Anglais jusqu’en germinal X.
Le 30 floréal X, le décret de l’an II fut abrogé par le Premier consul. Il est vrai que cette abrogation est une tâche indélébile sur l’histoire de l’épopée impériale. Cette décision, même si elle ne fut pas gratuite, car guidée par des intérêts économiques importants, n’en demeure pas moins une infamie pour tout jacobin. Toutefois, il serait peut-être plus exact de parler ici de non-abolition que de rétablissement pur et simple de l’esclavage, dans la mesure où le décret de l’an II n’a été que très partiellement appliqué.
Cette souillure, si elle ne doit pas être minimisée, est néanmoins à nuancer par le retour du souverain lors des Cent-Jours. Le 7 germinal XXIII, soit seulement neuf jours après son arrivée à Paris, l'Empereur abolit officiellement la traite des noirs3. Bien évidemment, cela n’excuse en rien la faute de floréal X. En revanche, j’ai la faiblesse de penser que l’abolition de XXIII traduit la véritable pensée du rival de Louis XVIII à propos de l’esclavage, dans la mesure où les impératifs économiques n’étaient plus aussi cruciaux qu’auparavant. Hélas, en raison de la chute du régime, après Waterloo, cette abolition s’est retrouvée caduque et il a fallu attendre le 25 germinal XXVI pour qu’elle soit effectivement consacrée, de manière imparfaite, par une loi royale.
L’Empereur : porte-étendard de l’idéal républicain
Je souhaite combattre ceux qui veulent occulter, sciemment ou non, l'incroyable épopée impériale, mais également ceux qui font de l’Empereur une sorte de champion du conservatisme. Pour certains, Napoléon Ier serait un héros conservateur, garant d’un ordre social et moral rêvé par Adolphe Thiers. Comme jacobin, j’affirme que si le régime a contribué à restaurer l’ordre, c’est avant tout pour mener à bien l’effort de guerre, destiné à anéantir les monarchies réactionnaires, coalisées contre la France. Le révolutionnaire Carnot, organisateur de la Victoire, voyait-il les choses différemment ?
La République se définit par des symboles. Je pense ici à son drapeau et à son hymne. Nul ne pourra nier que la propagande impériale a repris à son compte le Chant du départ, concurrent de la Marseillaise, ainsi que le drapeau tricolore, honnis par les légitimistes. Cet appel de la République, Guillaume Brune, l’un des maréchaux d’Empire, l’a si bien entendu qu’il lui a coûté la vie le 14 thermidor XXIII.
La République française, telle qu’elle est décrite par Ernest Renan, se caractérise par une volonté d’appartenance qui se traduit, elle-même, par l’adoption du droit du sol et par le rejet du droit du sang. Comment oublier alors que pour l’Empereur, « Tout individu né en France est Français » ?
La République, c’est la liberté de conscience. Alors que les thuriféraires conservateurs voient dans le Concordat un moyen d’assigner, à nouveau, à la France son rôle de fille aînée de l’Église, nous, les jacobins, y reconnaissons une promesse émancipatrice. Le catholicisme n’était plus la religion de l’État mais bien de la majorité des Français. Les citoyens de confession juive et musulmane, de même que les athées, étaient donc libres de croire comme ils l’entendaient ou bien de ne pas croire.
La République est fondée sur le mérite. Elle ne saurait donc récompenser que ceux qui ont « bien mérité de la Patrie » pour reprendre la célèbre formule de la Convention. Quels hommes ont davantage mérité de la Patrie que les soldats de la Grande Armée qui recevaient, des mains mêmes de leur « Petit caporal », la croix de la légion d’honneur ?
La République, c’est enfin affronter le mur de l’argent si ce dernier se heurte à l’intérêt général. Lorsque le créateur de la Banque de France affirmait : « L'argent n’a pas de patrie ; les financiers n'ont pas de patriotisme et n'ont pas de décence; leur unique objectif est le gain. » ne défiait-il pas ouvertement le mur de l’argent ?
Nul ne saurait le nier, l’Empire fut un régime autoritaire et ce dès son origine. Nonobstant cette considération, on voit bien, si l’on accepte d’y regarder de plus près, que l’immortel vainqueur d’Austerlitz fut, par une ruse de la Raison, un fervent serviteur de l’idéal républicain. Il serait donc absurde de le considérer comme un conservateur à mettre au ban de la Nation.
Le second mari de Joséphine de Beauharnais a eu un rôle plus qu’ambigu en matière d’esclavage. Refuser cet état de fait confinerait à un révisionnisme historique qu’il conviendrait de condamner. Cependant, à l’image de la Révolution qu’ils continuent, je demande à ce que le Consulat et l’Empire soient considérés comme un seul bloc. En somme, il ne serait pas honnête de dissocier les décrets des années X et XXIII.
Enfin, malgré la faute de l’an X, il est évident que l’Empereur s’inscrit dans la continuité révolutionnaire et qu’il s’oppose aux réactionnaires, de Vienne ou d’ailleurs. C’est avec cette conviction profonde que je te demande, Citoyen maire de Rouen, de bien vouloir remettre la statue impériale à la place qui lui revient de droit.
Charles-Louis Schulmeister,
Le 6ème jour sans-culottide de l’an CCXXVIII de la République française
1https://www.revuepolitique.fr/rehabiliter-robespierre/?fbclid=IwAR39nBUHwN0Xjm6OeYT14QKG5MUBMqszBR-6ntjdHa0_r7tjnJQIQItsNb4
2https://histoire-image.org/fr/etudes/premiere-abolition-esclavage-1794?fbclid=IwAR1Py6n39nhSUutuFrY-B2um5eHAAQFLGmgsqZ59DxiNeE6csCVIAK9Altw
3https://fr.m.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cret_imp%C3%A9rial_abolissant_la_traite_des_Noirs?fbclid=IwAR34nlf01plmDOJRoyRUcxQTCj9Z3NWZ9XV8MDQmNtZFVH5T6zitk3_XHwE