Le caritatif, voilà l’ennemi !
Chacun se souvient de ces chaudes heures de floréal LXXXV où l’illustre Cadurcien, Léon Gambetta, dénonçait le cléricalisme comme étant l’un des suprêmes ennemis de la République. Il convient de distinguer la religion, qui n’est qu’une boussole idéologique, du cléricalisme, qui vise à confisquer le noble sentiment religieux au profit d’une caste plus ou moins établie. Ce discours a permis à l’ancien chef de l’armée de la Loire de s’opposer à un régime qui, bien que n’étant pas officiellement une monarchie constitutionnelle, disposait de tous les oripeaux de l’orléanisme.
Se déclarer hostile au caritatif peut sembler absurde, voire cynique, de prime abord. J’assume néanmoins cette position. Tout l’objet du présent texte est de démontrer que, sous des atours généreux et engageants, la logique caritative constitue une aide extrêmement lacunaire, mieux, qu’elle est en vérité une manifestation de notre individualisme contemporain, contraire à l’idéal porté par la République jacobine.
L’essence même du caritatif réside en la défense d’une cause particulière, qui mérite que l’on y prête une attention spécifique, puisque l’Etat ne saurait y faire face. Toutefois, ce raisonnement est dangereux car il s’éloigne de l’intérêt général garanti par l’État républicain. À mon sens, la pensée caritative prône un affrontement des intérêts particuliers.
De l’associatif et du caritatif
À la lecture de mon avant-propos, mes contempteurs auraient beau jeu de dire que je raye, d’un trait de plume, tous les bienfaits que le milieu associatif apporte à la France. Il m’apparaît donc nécessaire de dissocier l’associatif du caritatif, que j’entends bien combattre.
Assurément, les associations sont essentielles dans bien des domaines : promotion du patrimoine, du lien social, de centres d’intérêt communs… Nul ne saurait nier leur apport pour la société. Je vois alors poindre la contradiction suivante : comment se déclarer en faveur de l’action associative si on lui refuse toute forme de financement ?
Toute association a besoin de fonds propres pour mener à bien son action, c’est un fait. Pour ce faire, elle a besoin de dons. Cependant, contrairement au caritatif, l’associatif se veut universel, il ne se limite pas à porter secours aux plus défavorisés. C’est paradoxalement cette idée que je condamne, car dans ce secteur, le monopole du cœur devrait revenir à l’État. Il est effet certain que porter secours aux plus défavorisés est constitutif de notre pacte social.
En somme, il convient de vivifier le tissu associatif national partout où il ne s’agit pas d’une mission de première importance, qui ne saurait être exercée que par l’État.
Affrontements des intérêts particuliers contre intérêt général
Si nous, Jacobins, défendons à ce point l’État par rapport aux acteurs privés, c’est bien parce que nous sommes convaincus d’une chose : contrairement à ces derniers, la force de coercition au service de la Nation n’est guidée que par l’intérêt général, tout au moins lorsqu’elle est dirigée par un gouvernement vertueux.
Bien sûr, les intérêts particuliers peuvent défendre une cause noble, il serait ridicule de le nier. Nonobstant cette remarque, il faut formuler la limite suivante : une cause noble ne saurait se rattacher qu’à un intérêt particulier bien défini. Il y a donc autant de combats caritatifs que d’intérêts particuliers.
C’est à mon sens dans cette constatation que réside le péché mortel de l’action caritative : elle se voit contrainte de hiérarchiser les causes, pire de les mettre en concurrence pour faire en sorte que les dons reviennent à l’association que l’on promeut et non à une autre.
Le pathos comme principe d’action
Nous venons d’en convenir, le caritatif induit une hiérarchisation des combats portés par ses différents acteurs. L’objectif est d’attirer les dons pour contribuer à une cause plutôt qu’à une autre.
Ce « désordre moral » est intrinsèquement choquant pour un Républicain, mais le caractère néfaste du caritatif ne s’arrête pas à ce constat. À l’image des démagogues antiques, les thuriféraires de ce mode d’action se sont aperçus que le pathos est un levier bien plus commode à manier que le logos. Effectivement, pour disposer de plus de dons que les autres, il est indispensable de choquer le donateur en puissance, afin qu’il participe à la lutte soutenue par l’association, quitte à se livrer à des campagnes de publicité parfois obscènes.
Avec ce procédé, l’individu donne moins par adhésion à une cause que par culpabilité. Le but est, avant tout, de soulager sa conscience selon la pratique cléricale bien connue des indulgences, or il n’est pas besoin de rappeler les conséquences qu’a eu le commerce de ces dernières pour la religion catholique.
J’espère que chacun aura compris que la conception jacobine ne vise pas à supprimer purement et simplement toutes les activités caritatives. Son souhait est d’en dénoncer le fonctionnement et d’assurer le retour à une gestion étatique de l’ensemble des causes, aujourd’hui défendues de cette manière, car elles sont, bien souvent, légitimes.
En République, c’est donc à l’appareil d’État de s’occuper de ces questions afin d’assurer un financement juste, grâce à un impôt progressif et direct. J’ajouterai d’ailleurs que si les dons aux associations sont aujourd’hui si nombreux, c’est bien parce qu’ils sont, pour partie, exonérés d’impôt.
Il n’est pas tolérable, pour un Jacobin, que le degré de sensibilité à telle ou telle cause continue à être l’étalon de financement de cette dernière. Il faut en finir avec cet individualisme mortifère, les causes portées par les organismes caritatifs méritent d’être défendues par la seule péréquation républicaine.
Charles-Louis Schulmeister,
Le 30 thermidor de l’an CCXXVIII de la République française
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