Pour la républicaine
Une nouvelle fois, je republie sur le présent blog un article avec l’accord de son auteur. J’ajouterai toutefois que si je comprends la volonté de l’auteur d’utiliser le terme « Éducation nationale » pour coller à la réalité, je pense tout de même qu’il faudrait plutôt évoquer l’Instruction nationale. La différence entre ces deux termes est de taille. L’éducateur inculque des pratiques à reproduire pour mieux se conduire en société. L’instructeur, ou le professeur, enseigne des savoirs qui permettront à l’élève de s’élever intellectuellement. En somme, là où l’éducateur sert le groupe en faisant en sorte que chacun adopte une conduite uniforme, sans pour autant en apprécier la nécessité, l’enseignant élève l’individu et permet ainsi à chacun de connaître tous les rouages de cette société à laquelle il appartient.
Ce titre est bien évidemment une référence au fameux texte de Jaurès de 1892, intitulé Pour la laïque. Ce texte a pour objectif de proposer des pistes de réflexion pour refonder notre École sur des bases réellement républicaines et n’a aucune prétention à l’exhaustivité. En outre, beaucoup trouveront, sans doute avec raison, que ce texte est trop théorique voire utopique. Après tout peu importe, puisqu’il a pour but essentiel de provoquer un débat au sein des Républicains, qu’ils viennent de la droite ou de la gauche.
L’instruction en danger
Avant d’entreprendre de nouvelles réformes, il nous faut considérer l’actuel cadre de l’Éducation nationale. La clé de voûte du système actuel, c’est le fameux « collège unique ». Bien qu’il ait vu le jour sous le règne d’un orléaniste notoire, j’entends défendre cette institution de notre système éducatif. En effet, l’égalité est l’un des principes fondateurs de l’idée jacobine. Pourrait-on encore parler d’invisibilité du Peuple si les citoyens qui le constituent étaient formés de manière différente ? Pour ma part, je souhaite donc préserver un « socle commun », comme l’a dit un jour un homme qui, jadis, croyait en la grandeur de la France. Il est donc indispensable que tous les élèves aient une formation semblable, au minimum jusqu’à la troisième, même si à terme, l’émergence d’un baccalauréat général unique me semble souhaitable. Toutefois, être sensible à l’égalité ne signifie pas être naïf. De nos jours, ce collège unique est devenu au mieux une coquille vide, au pire un moyen de masquer les inégalités criantes qui accablent le pays. Sous bien des aspects, le collège unique est donc devenu le collège inique. En effet, qui y a-t-il de commun entre un grand lycée parisien et un collège baptisé hypocritement « ambition réussite » ? Bien peu de choses en réalité, on trouve des agrégés dans les premiers tandis que les seconds ne disposent que de certifiés, qui ne déméritent pas pour autant. Mais ce qui est le plus révoltant pour un authentique jacobin, c’est l’inégalité des programmes enseignés. Si les établissements les plus prestigieux peuvent se permettre de dépasser largement le cadre du programme en l’approfondissant, les moins favorisés ne sont pas en mesure de l’enseigner aux élèves. À terme, ce sont les programmes des grands lycées qui devront être la norme, il n’y a aucune raison pour que l’excellence républicaine soit la chasse gardée de la haute bourgeoisie. À ce titre, il faut tout de même noter la salutaire évolution des programmes d’histoire, qui redonnent une place non négligeable à l’histoire politique qui reste, qu’on le veuille ou non, la matrice de l’Histoire. Si nous réussissons à homogénéiser les programmes, il faudra veiller à une stricte application de la carte scolaire. Il convient de faire cesser ces inégalités au plus tôt, mais cela prendra du temps puisque la question éducative est très étroitement liée à la question sociale, comme nous le verrons plus tard dans notre réflexion.
Il est vrai que l’avènement d’un véritable collège unique est encore loin. Il nous faudra donc nous armer de patience et de courage pour y arriver, les corporatismes et les inégalités sociales devront être vaincues. Toutefois, il ne faudrait pas occulter une réalité : de nombreux élèves, quel que soit leur établissement d’origine, ont parfois bien du mal à suivre une scolarité digne de ce nom. Que faire de ceux-ci, les rejeter en dehors du système pour en faire des sous-citoyens et adopter le darwinisme social comme doctrine éducative ? Si certains peuvent être tentés par cette solution de facilité, la République ne saurait s’en satisfaire. Ce qu’il convient de généraliser, ce sont les établissements qui visent à maintenir les futurs citoyens dans la filière générale. Ce système existe, il s’agit des R.A.S.E.D. (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté). Malheureusement, ces classes ont été insuffisamment développées. Un régime jacobin se devra d’en faire la promotion, afin que chacun puisse sortir de la caverne, pour reprendre l’allégorie de Platon.
L’émancipation par la Nation
Afin de parler à l’ensemble de l’Univers, telle est la mission des Français, il convient de pouvoir maîtriser le langage des autres peuples, c’est une évidence. Cependant, avant de communiquer avec l’autre, il convient de savoir qui l’on est et d’où l’on vient, « connais-toi toi-même » disait Socrate. C’est pour cette raison qu’il faut, dans le premier degré, supprimer les langues étrangères, quelles qu’elles soient, au profit de l’Histoire et du Français qui demeure, jusqu’à preuve du contraire, la langue de la République. En revanche, l’enseignement de ces langues garde évidemment toute sa pertinence au collège ainsi qu’au lycée. C’est en ayant une meilleure connaissance de leur culture nationale que les futurs citoyens pourront ensuite dialoguer avec l’ensemble des peuples. En effet, comment peut-on aimer l’autre si l’on ne s’aime pas soi-même ? Comme le disait Régis Debray, pour accueillir quelqu’un chez soi, encore faut-il qu’il y ait une porte, pour ne pas dire une frontière.
Toutes les écoles, que dis-je, toutes les classes de la République devraient être pourvues d’un drapeau tricolore et d’une Marianne. Bien entendu, ce sont là des symboles, ils ne valent rien pour eux-mêmes mais constituent des référents patriotiques pour tous les élèves de la République. L’enfant de l’école élémentaire regardera ces symboles d’un œil intrigué. À quoi cela correspond-t-il se demandera-t-il, fort justement. L’élève de lycée, lui, considérera sa propre conduite et devra se demander si elle est conforme à la Vertu et à l’Honneur, qui sont les principes qui doivent animer tout citoyen. En contemplant ces glorieux symboles, il comprendra que son intérêt particulier n’est rien en comparaison de l’intérêt général, celui du Peuple tout entier pour ne pas dire indivisible.
Ces deux symboles constitutifs de notre roman national, s’ils sont nécessaires, ne sont toutefois pas suffisants à mon sens. Il convient en effet d’y ajouter le retour de l’uniforme. Alors j’entends déjà ces « combattants qui m’interpellent », comme le disait Jaurès, me rétorquer que l’uniforme est un archaïsme, qu’il empêche l’élève de s’épanouir pleinement. Je voudrais répondre à ces gens que l’uniforme permet, tout comme le drapeau et Marianne, de s’identifier pleinement à la Nation. Un citoyen qui sert la Nation ne sert-il pas au fond l’individu qu’il est également ? De plus, l’uniforme peut permettre aux élèves de ressentir la gloire de la France, pour ce faire, il devra cependant revêtir les trois couleurs qui sont si chères à nos yeux. Le style de cet uniforme pourrait donc tout à fait être inspiré de celui que portaient les fameux soldats de l’an II, si importants pour nous jacobins. Ainsi, l’esprit de corps nécessaire à l’émergence de toute fraternité républicaine pourrait voir le jour.
Pour une pédagogie jacobine
Nous avons vu les mesures générales qu’il convenait de mettre en œuvre. Toutefois, ces mesures ne concernent que l’épanouissement intellectuel de l’élève. S’il est vital, il doit également s’accompagner d’un développement physique. Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire des élèves des machines à tuer prêtes à servir le premier totalitarisme venu, bien au contraire. Pour contrôler sa force, un citoyen doit avant tout en connaître toute l’étendue. Il est vrai que cela va à l’encontre de la morale bourgeoise qui a tendance à évacuer la violence de la société : cela n’est pas convenable. Toutefois, n’en déplaise à certains conservateurs tenant d’un « ordre moral », la violence entre êtres humains est un fait. L’École de la République se doit d’en prendre acte et de faire en sorte que les futurs citoyens expriment cette violence, afin qu’elle soit canalisée. Les arts martiaux me semblent particulièrement pertinents dans un tel cadre. Toutefois, pour se prémunir définitivement de toute dérive fascisante du sport à l’École, il convient d’en faire comprendre aux élèves tous les enjeux intellectuels qu’il implique. Le sport, s’il doit permettre une canalisation de la violence, doit ainsi être un moyen de faire comprendre aux élèves comment de grands principes stratégiques peuvent se retrouver dans une activité en apparence aussi banale. Ne retrouve-t-on pas certains principes énoncés par Sun Tzu dans le Judo ?
Jusqu’à présent nous n’avons pas encore remis en cause le système pédagogique dominant à l’heure actuelle. Système dont Philippe Meirieu est l’un des principaux représentants. Il ne s’agit bien entendu pas de jeter l’anathème sur telle ou telle personne, mais bien de critiquer ce système pour lui-même. Pour être succinct, ce système a été maintes et maintes fois critiqué par les Républicains, il s’agit du Pédagogisme. Le danger de ce courant pédagogique, c’est que sous prétexte de s’occuper du bien-être de l’élève, de « l’apprenant » comme ils disent, ils le font en réalité courir à sa perte. En somme, ce serait l’élève qui devrait être au centre de la pédagogie afin qu’il devienne autonome. Si une telle proposition peut sembler en apparence séduisante, elle repose sur une contradiction majeure. Puisque le futur citoyen est en position « d’apprenant », c’est donc qu’il ne sait pas comment apprendre. S’il ne sait pas comment apprendre, il se tournera donc en priorité vers ses centres d’intérêt premiers, quitte à négliger bien des aspects, qui seraient en fait bien plus dans son intérêt. On l’aura compris, une telle idée n’est pas républicaine puisque les élèves, n’ayant pas le même niveau d’instruction initiale, seront inégaux devant « l’offre pédagogique ». Ce qu’il faut, c’est replacer le savoir au centre du système. Le professeur doit donc être regardé comme un Prométhée contemporain, chargé de transmettre le feu sacré de la connaissance aux futurs citoyens. S’il est difficile d’énoncer des propositions précises pour arriver à un tel résultat, la restauration de l’autorité du maître et le rétablissement d’une discipline de fer, digne de celle qui régnait dans l’armée de Frédéric II de Prusse, me sembleraient être un bon début.
L’école comme temple sacré du savoir
À mon sens, l’une des faiblesses de notre système éducatif, c’est bien le cloisonnement entre les degrés qui le composent ou plus précisément entre le secondaire et le supérieur. S’il ne s’agit pas de faire des élèves, ni même des enseignants du second degré, des spécialistes de chaque question au programme, il serait utile que les professeurs aient une approche épistémologique des principaux thèmes abordés par le programme et ce dans chaque discipline. En Histoire, par exemple, une connaissance minimale de l’historiographie relative aux points cruciaux abordés pendant l’année devrait être exigée. Cela pourrait se faire sous forme de conférences données par des enseignants chercheurs à leurs collègues du secondaire. Ainsi, les maîtres seraient plus à même de juger de la pertinence et le cas échéant du parti pris du manuel utilisé mais également de répondre de manière plus satisfaisante aux questions des élèves. Voici donc des propositions pour faire de l’École une véritable institution émancipatrice. À présent, il nous faut évoquer la place mais aussi et surtout le rôle de l’École au sein de la République.
Les lecteurs les plus attentifs l’auront certainement remarqué, j’ai utilisé à de nombreuses reprises le terme de « futurs citoyens ». Cette dénomination n’est évidemment pas anodine. Elle permet en effet de se questionner sur ce que doit former l’École. S’agit-il de former des travailleurs ou au contraire des citoyens ? On l’aura compris, j’ai déjà répondu à cette question. L’École ne doit former que des citoyens et rien d’autre. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, c’est bien le savoir qui doit être au centre de la pédagogie, pour la simple raison que c’est son acquisition et la capacité à le questionner, le doute cartésien, qui permet à l’élève de devenir un citoyen. Cela suppose que l’École devienne un véritable « sanctuaire » à l’abri des entreprises qui viennent y recruter. Alors, bien entendu, certains me diront que l’apprentissage est nécessaire pour notre système éducatif car il permet d’avoir un travail et donc d’échapper au chômage. Cela est vrai, je ne saurai le contester, mais enfin, tout de même, quelle vision à courte vue, quelle soumission au capitalisme, quelle négation du génie humain ! Un jacobin ne peut tolérer un tel système, untel serait condamné, par l’instruction qu’il a reçue, à n’occuper qu’un emploi subalterne alors que tel autre serait obligatoirement voué à devenir haut fonctionnaire ? Dans une démocratie républicaine, cela ne se peut. Il faut tendre vers une filière unique où chacun recevrait une même éducation jusqu’au baccalauréat, magnifique legs napoléonien, qui a fait des lycées une institution véritablement nationale. Ce n’est qu’après une scolarité au sein du « lycée unique » que les citoyens pourraient se distinguer. Tout le monde ne peut pas occuper les plus hautes charges, c’est un fait, mais la sélection doit s’opérer sur la méritocratie et sur la méritocratie seule. Pour s’en convaincre, rappelons-nous de l’article 5 de la Constitution de 1793 : « Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les peuples libres ne connaissent d'autres motifs de préférence, dans leurs élections, que les vertus et les talents. »
L’École doit donc être émancipatrice pour former des citoyens pleinement libres et éclairés en Raison. Néanmoins, il serait absurde de vouloir déconnecter la question éducative de la question sociale. Effectivement, même si cela est regrettable, l’École est bien souvent le reflet du lieu de vie du futur citoyen. Si la sanctuarisation, vis-à-vis des entreprises notamment, est plus que souhaitable, il ne faut pas considérer pour autant que l’École ne traduit jamais certaines normes sociales propres à certains milieux bien précis. Dans certains cas, ces normes sont jugées déviantes par la République, et dans bien des cas l’enseignant se retrouve démuni : comment faire comprendre au catholique qu’il n’a pas à arborer sa croix en cours, à la musulmane que son voile peut choquer ou encore au juif qu’il doit se découvrir en classe ? Plus que de laïcité, il est ici question de rites culturels, il convient de s’adapter à la coutume majoritaire : « si fueris Romae, Romano vivito more; si fueris alibi, vivito sicut ibi » (Si tu es à Rome, vis comme les romains; si tu es ailleurs, vis comme on y vit) comme l’a si bien dit Ambroise de Milan. Certes, l’enseignant peut demander à l’élève prosélyte, sans parfois même le savoir, d’enlever l’attribut gênant, mais alors il pourra être confronté à l’ire de la famille. Dans ce cas, comme dirait Lénine, Que faire ? Lorsqu’une telle situation arrive, le simple cas de l’élève est dépassé puisque c’est la cellule familiale tout entière qui se dresse contre l’École républicaine. Qu’est-ce qu’une famille si ce n’est la résultante d’une expérience sociale, d’un habitus comme dirait le funeste Bourdieu ? L’École et les enjeux qu’elle pose ne sauraient donc se limiter à eux-mêmes, il convient de les aborder avec l’ensemble des composantes de notre République. Il faut donc recréer du lien social dans les banlieues urbaines dites sensibles, mais aussi dans les déserts ruraux afin de restaurer la paix civile, préalable indispensable au bon fonctionnement de l’École.
Charles-Louis-Schulmeister,
Le 5 prairial de l’an CCXXVII de la République française